29.07.2020

LE DROIT AU LOCK-OUT DE L’EMPLOYEUR

Lactalis, la société mère de Lactantia, a décrété le 15 juillet dernier à 16h00 un lock-out à son usine de Victoriaville

Selon les renseignements disponibles dans les différents médias[1], la convention collective visant les 450 travailleurs de l’usine spécialisée dans la production de fromage mozzarella, de poudre de lait et de margarine de cette entreprise est échue depuis octobre 2019.

Les négociations en vue de son renouvellement sont donc en cours depuis plusieurs mois, sans que celles-ci ne soient concluantes ou ne laissent présager un règlement rapide. Dans ce contexte, les employés ont voté à 95 % en faveur d’une grève le 23 juin dernier.

Les parties ont tout de même poursuivi les négociations dans le cadre de séances de conciliation afin notamment de discuter du salaire, des horaires, des vacances, des mouvements de personnel et de la durée du contrat de travail.

Or, dans la journée du 14 juillet 2020, certains employés ont mis en branle des moyens de pression, tels que ne pas se présenter au travail, apposer des affiches et des autocollants et rapporter ou chanter des propos au micro de l’usine.

En réaction à ces événements, l’employeur a annoncé le lock-out à son usine de Victoriaville, décision dénoncée par les travailleurs qui ont formé trois lignes de piquetage pour dénoncer la situation à la suite de cette annonce.

Il nous apparaît donc opportun de faire un rappel des droits et obligations des employeurs dans le cadre d’un lock-out.

Un lock-out : c’est quoi ?

Le lock-out est la contrepartie patronale au droit de grève des salariés. En effet, le paragraphe 1h) de l’article 1 du Code du travail[2] (ci-après « C.t. ») définit le lock-out comme étant : « le refus par un employeur de fournir du travail à un groupe de salariés à son emploi en vue de les contraindre à accepter certaines conditions de travail ou de contraindre pareillement des salariés d’un autre employeur ».

Contrairement à la grève, la définition lock-out contient donc un élément de finalité, puisque l’arrêt de travail décrété par l’employeur doit viser à contraindre des salariés à accepter certaines conditions de travail, soit actuelles ou nouvelles.

Les modalités du droit au lock-out

En vertu de l’article 109 C.t., l’employeur acquiert le droit au lock-out en même temps que le syndicat acquiert le droit de faire la grève, soit à l’expiration d’un délai de 90 jours suivant la réception d’un avis de négociation ou l’échéance de la convention collective[3].

Il importe toutefois de mentionner que des conditions particulières s’appliquent dans les services publics visés par un décret de maintien des services essentiels, dans la fonction publique ainsi que dans le réseau de la santé et des services sociaux[4], pouvant même aller jusqu’à une interdiction pour l’employeur de recourir au lock-out.

L’article 53 C.t. impose quant à lui que les négociations se poursuivent avec diligence et bonne foi, et ce, même dans le contexte houleux d’un lock-out.

Notons de plus que l’employeur qui déclare un lock-out doit en informer le Ministre du Travail dans les 48 heures qui suivent la déclaration du lock-out et indiquer le nombre de salariés compris dans l’unité de négociation concernée.

Les droits et obligations de l’employeur

Les parties prenantes à un conflit de travail doivent également porter une attention particulière aux dispositions 109.1 à 109.4 du C.t.

À cet égard, l’article 109.1 interdit à l’employeur de remplacer les salariés en grève ou visés par un lock-out par des « briseurs de grève » ou comme certains les appellent des « scabs ». Les prohibitions formulées à l’article 109.1 C.t. visent donc l’utilisation des salariés compris dans l’unité de négociation en grève ou en lock-out, celle d’autres employés de l’entreprise et celle de services d’un entrepreneur ou des employés d’un autre employeur[5].

La marge de manœuvre laissée à l’employeur qui décrète un lock-out peut se résumer ainsi :

  • Dans l’établissement touché par la grève ou le lock-out, l’employeur pourra utiliser les seuls services des cadres de cet établissement ou d’un autre établissement auquel appartiennent des salariés de l’unité de négociation en grève ou en lock-out. Toutefois, ces derniers doivent avoir été embauché avant le début de la phase des négociations[6];
  • Hors de l’établissement touché par la grève ou le lock-out, l’employeur pourra recourir aux services soit d’un salarié de l’entreprise embauché avant le début de la phase de négociation et qui n’est pas compris dans l’unité de négociation en grève ou en lock-out, soit d’un cadre embauché avant le début de la phase des négociations, soit enfin d’un entrepreneur ou des employés d’un autre employeur[7].

L’exception

Mentionnons toutefois que l’application de l’article 109.1 C.t. ne peut avoir pour effet d’empêcher un employeur de prendre, le cas échéant, les moyens nécessaires pour éviter la destruction ou la détérioration grave de ses biens[8]. Néanmoins, ces moyens doivent être exclusivement des moyens de conservation et non des moyens visant à permettre la continuation de la production de biens ou services que l’article 109.1 C.t. ne permettrait pas autrement.

Les sanctions pénales

Enfin, l’employeur doit impérativement respecter les dispositions entourant le droit au lock-out s’il ne veut pas s’exposer à des amendes pouvant aller jusqu’à 50 000,00 $, telles que prévues aux articles 142 et suivants du C.t.

Conclusion

Bien qu’il s’agisse d’un levier intéressant afin de forcer un syndicat et ses membres à accepter des propositions de conditions de travail lors du renouvellement d’une convention collective, le recours au lock-out n’est pas sans risque pour un employeur.

En effet, s’il agit en contravention des nombreuses prescriptions du C.t., l’employeur s’expose à des recours en injonction et des amendes très salées afin qu’il cesse un lock-out illégal ou l’utilisation de briseurs de grève.

Un employeur qui évalue la possibilité de recourir au lock-out doit donc être conscient des risques et des coûts que cela peut engendrer et doit se demander s’il dispose d’une alternative à l’utilisation de sa main d’œuvre syndiquée afin de poursuivre temporairement ses activités. Il s’agit d’un travail d’analyse et de réflexion important, lequel doit être effectué avec diligence, afin d’éviter de mauvaises surprises.

 


[1] Voir notamment :TREMBLAY, J, «Lock-out chez Lactantia de Victoriaville» publié le 15 juillet 2020 [en ligne] https://monvicto.com/lock-out-chez-lactantia-de-victoriaville/ (consultée le 16 juillet 2020) ou encore LEPAGE, Caroline, « lock-out à l’usine Lactantia de Victoriaville » publié le 15 juillet 2020 [en ligne] https://www.journalde montreal.com/2020/07/15/lock-out-a-lusine-lactantia-de-victoriaville (consultée le 16 juillet 2020)

[2] RLRQ c.C-27

[3] Article 58 du Code du travail.

[4] Voir les articles 111.0.15 et suivants du Code du travail.

[5] Robert.P.GAGNON, Le droit du travail du Québec, 7e édition, éditions Yvon Blais, Cowansville, p. 641.

[6] Id., p.645

[7] Id.

[8] Article 109.3 C.t.

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