09.12.2019

LA SANTÉ ET LA SÉCURITÉ PRIMENT-ELLES SUR LA LIBERTÉ DE RELIGION ?

Le 12 avril 2017, Me Desrosiers publiait un article dans lequel il faisait état de cette situation[1].

L’article en question explicitait la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Singh c. Montreal Gateway Terminals Partnership[2].

Nous vous avions avisé que les demandeurs allaient se pourvoir contre ce jugement de l’Honorable André Prévost. La Cour d’appel vient de rendre sa décision[3] le 12 septembre dernier. Elle rejette l’appel.

Un bref rappel des faits

En juillet 2005, la société Montreal Gateway Terminals (« MGT ») a instauré une nouvelle politique selon laquelle toute personne entrant sur son terminal du Port de Montréal doit porter un casque protecteur lorsqu’elle se déplace à l’extérieur de son véhicule.

Considérant que des camionneurs de religion sikhe effectuant du transport de conteneurs avaient fait valoir qu’ils refusaient de porter un casque protecteur par-dessus leur turban, MGT avait élaboré une procédure alternative de chargement des conteneurs sur leurs remorques afin de s’assurer que ces derniers demeurent en tout temps à l’intérieur de la cabine de leur camion.

Après avoir été en vigueur pendant près de trois ans, la mesure mise en place dont le but était d’accommoder ces camionneurs s’était avérée inefficace et contraignante compte tenu du délai d’attente qu’elle impliquait pour ces derniers ainsi que des complications qu’elle générait, tant du point de vue organisationnel qu’économique pour l’entreprise. MGT y avait donc mis fin.

Les trois camionneurs s’étaient donc adressés à la Cour supérieure afin d’être exemptés de la politique les obligeant de porter un casque de sécurité.

Le juge André Prévost avait conclu que la Politique affecte l’exercice, en pleine égalité, des droits des appelants à leur liberté de religion. Toutefois, il estimait que cette Politique constitue une exigence professionnelle justifiée suivant l’application du test à trois volets. Elle est rationnellement rattachée à la fonction exécutée par les camionneurs et à leur sécurité lorsqu’ils se trouvent à l’extérieur de leur camion.

La Cour retenait également que la Politique porte atteinte à la liberté de religion des appelant en les obligeant à porter un casque protecteur. Cependant, la Cour avait conclu que cette atteinte est justifiée en raison des risques d’accidents.

Selon le Juge Prévost, il existe un lien rationnel entre la Politique et l’objectif de santé et de sécurité poursuivi. Il avait conclu que l’atteinte est minimale puisque : (1) la Politique s’applique uniquement lorsque les appelants se trouvent à l’extérieur de leur camion; (2) elle est nécessaire afin d’assurer le respect par les intimées de leurs obligations légales; et (3) les effets bénéfiques l’emportent sur le caractère préjudiciable.

L’Appel

Au soutien de leur demande, les appelants soulèvent deux moyens d’appel : (1) le juge a erré en refusant d’appliquer la Charte canadienne des droits et libertés aux faits en litige; et (2) il a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que la politique du port obligatoire du casque protecteur, instaurée par les intimées, respecte l’article 20 de la Charte des droits et libertés de la personne et qu’elle est justifiée en vertu de l’article 9.1 de celle-ci.

En ce qui a trait au premier moyen, la Cour d’appel est sans équivoque. La Politique n’est pas du ressort gouvernemental ni appliquée par des organismes gouvernementaux. Le litige concerne strictement une Politique adoptée par des entreprises privées dans le contexte des opérations aux Terminaux. La Charte canadienne ne s’applique pas dans ces circonstances.

En ce qui concerne le deuxième moyen d’appel, la Cour est d’avis que le juge de première instance a conclu à bon droit à l’existence d’un lien rationnel entre la Politique et l’objectif d’assurer la sécurité de toute personne présente sur le site des Terminaux.

Tel que l’a conclu le juge Prévost, la preuve permet de démontrer que la Politique se veut la moins attentatoire possible aux droits des appelants. En effet, le port du casque protecteur est exigé uniquement lorsque les camionneurs sortent de leur camion et il est établi que la durée des déplacements est de courte durée, soit au plus une dizaine de minutes.

Dans la mise en balance des effets préjudiciables et bénéfiques, le juge Prévost a décidé que l’objectif de sécurité des milieux de travail prévalait sur les effets préjudiciables temporaires à la liberté de religion des appelants. La Cour d’appel souligne que le juge de première instance n’a commis aucune erreur révisable en concluant que l’effet global de la Politique est proportionnel et que l’atteinte à la liberté de religion se justifie au regard de la Charte québécoise, plus particulièrement au regard de l’article 9.1.

Conclusion

Ainsi tel que Me Desrosiers le soulignait dans son précédant article sur le sujet, il importe de se rappeler que lorsqu’une mesure visant à assurer la sécurité est mise en place, l’entreprise sera confrontée à deux responsabilités. En effet, en plus de devoir s’assurer de la santé et de la sécurité de ses employés, elle devra accommoder raisonnablement une personne qui exigera l’exercice ou le respect d’un droit fondamental protégé en vertu de la Charte québécoise.

Toutefois, il est essentiel de retenir que si cette mesure a un effet discriminatoire, celle-ci peut être justifiée en regard de la Charte lorsqu’elle est : (1) rationnellement liée à l’exécution du travail; (2) adoptée en croyant sincèrement qu’elle est nécessaire pour réaliser un but légitime; et (3) raisonnablement nécessaire pour réaliser le but légitime.

 

[1] Me Philippe DESROSIERS, La santé et la sécurité l’emportent-elles sur la liberté de religion, publié le 12 avril 2017 sur le Portail CRHA [en ligne] https://ordrecrha.org/ressources/TBD/Archives/Vigie-RT/la-sante-et-la-securite-l-emportent-elles-sur-la-liberte-de-religion

[2] 2016 QCCS 4521

[3] Singh c. Montreal Gateway Terminals Partnership, 2019 QCCA 1494

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