16.05.2018

Des patrons plus que jamais imputables!

Article de Me Desrosiers publié dans VigieRT le 16 mai 2018

Le couperet est finalement tombé le 1er mars dernier dans l’affaire Fournier[1]. Sylvain Fournier, entrepreneur en excavation, a finalement été reconnu coupable de l’homicide involontaire de Gilles Lévesque.

Les faits

Le 3 avril 2012, Sylvain Fournier et Gilles Lévesque creusaient une tranchée pour le remplacement d’un tuyau d’égout avec d’autres travailleurs. En cours d’excavation, un éboulement est survenu, ensevelissant complètement monsieur Lévesque et en partie monsieur Fournier. Étant incapable de bouger et ne sachant pas comment réagir, monsieur Fournier fit plusieurs appels, sans toutefois composer le 911. C’est finalement un autre employé qui appela les secours, trop peu trop tard pour la victime.

Le procès

Monsieur Fournier fut jugé sur deux chefs d’accusation, soit ceux d’avoir causé la mort par négligence criminelle et d’avoir commis un homicide involontaire coupable sur la personne de Gilles Lévesque.

Dans son jugement, le juge Dupras reprocha à l’excavateur de ne pas avoir étançonné suffisamment la tranchée, d’avoir aménagé des parois trop abruptes et de ne pas avoir placé la terre retirée à une distance suffisante du trou. L’accusé, dont le témoignage ne fut pas cru par la cour, plaida qu’il était justement en train d’étançonner la tranchée avec son employé et que la mort de la victime était dû à un comportement imprévisible de sa part.

Le tribunal a décrit comme suit le fardeau de l’infraction d’homicide involontaire coupable :

  • La présence d’une conduite illégale;
  • La mort d’une personne, causée par cette conduite illégale;
  • La conduite illégale était objectivement dangereuse;
  • Le comportement de l’accusé constitue un écart marqué en rapport avec le comportement qu’aurait eu une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances;
  • Cette même personne raisonnable aurait pu prévoir le risque de lésions corporelles.

En l’espèce, le juge a convenu que Sylvain Fournier avait commis une conduite illégale en omettant d’étançonner solidement les parois de son excavation, ce qui représente une violation de l’article 3.15.3 du Code de sécurité pour les travaux de construction[2]. En outre, le tribunal fut d’avis que la conduite de monsieur Fournier était objectivement dangereuse, qu’elle dénotait un écart marqué avec la conduite d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances et que les dimensions du trou rendaient le risque de lésions corporelles prévisible.

La Loi C-21

Un jugement comme celui rendu dans l’affaire Fournier ne pourrait être possible sans la Loi C-21[3], entrée en vigueur le 31 mars 2004. Cette loi qui visait initialement à combler un vide juridique important en matière de responsabilité criminelle des entreprises lors d’accidents de travail, expose dorénavant les entreprises ainsi que leurs dirigeants à des poursuites de nature criminelle lorsqu’ils font preuve de négligence.

Avant cette Loi, il était impératif que la poursuite prouve que l’accusé incarnait l’âme dirigeante de l’entreprise. Par conséquent, de nombreuses organisations ont échappé à la justice lorsqu’il était impossible d’en faire la preuve. La Loi C-21, qui est venu modifier certaines dispositions du Code Criminel, innove, puisqu’elle s’appuie maintenant sur une présomption de participation de l’organisation à l’infraction, libellée à l’article 22.1 du Code Criminel.

Plus précisément, l’entreprise est présumée être partie à l’infraction dans les cas où il est prouvé que l’un de ses employés a lui-même participé à l’infraction, par son action ou son omission, et que le cadre supérieur s’est écarté de façon marquée de la norme de diligence raisonnable pour empêcher la participation à l’infraction. Cela implique donc que le cadre supérieur doit ou devrait avoir connaissance de l’infraction commise par l’employé.

D’autre part, l’article 217.1 C.cr., aussi introduit par la Loi C-21, énonce quant à lui, qu’« il incombe à quiconque dirige[ant] l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui. » Il va sans dire que cette disposition impose à l’entreprise un devoir légal de veiller à la santé et à la sécurité de ses salariés en instaurant des mesures appropriées. À cet égard, le législateur n’a pas jugé nécessaire d’en préciser l’étendue, ce qui fait en sorte que les tribunaux, comme dans l’affaire Fournier, se réfèrent aux différentes lois en vigueur en matière de santé et sécurité au travail.

La norme de diligence raisonnable

Une entreprise qui fait face à des accusations de négligence criminelle peut invoquer la diligence raisonnable à titre de moyen de défense. Cette obligation se divise en trois éléments fondamentaux en matière de santé et sécurité au travail soit la prévoyance, l’efficacité et l’autorité.

  1. Le devoir de prévoyance

Le devoir de prévoyance découle des différentes lois provinciales existantes dans le domaine de la santé et la sécurité au travail. Le législateur astreint les employeurs à entreprendre les démarches nécessaires afin de comprendre l’étendue du travail effectué par ses employés ainsi qu’à identifier les mesures de sécurité appropriées à mettre en place.

  1. Le devoir d’efficacité

Pour être considéré comme un employeur diligent, il ne suffit pas d’être aux faits des différents risques que comporte l’accomplissement des différentes tâches, il faut les contrôler. Il importe donc de déterminer les mesures de sécurité concrètes dans le but de pallier à ces risques et d’assurer un milieu de travail exempt de danger. L’employeur doit donc, en plus de fournir l’équipement de sécurité nécessaire, effectuer de la formation ainsi que des campagnes de sensibilisation auprès de ses employés afin qu’ils respectent les différentes règles afférentes à leur sécurité.

  1. Le devoir d’autorité

Le devoir d’autorité découle quant à lui du droit de gérance de l’employeur. Ce dernier ne doit faire preuve d’aucune tolérance à l’égard des actes dangereux posés par ses employés. Il est de son devoir d’imposer des sanctions dissuasives dans le but de protéger les salariés contre eux-mêmes ainsi que contre leurs pairs. Conséquemment, une personne en autorité doit non seulement être toujours présente lors de l’accomplissement du travail, mais elle doit agir de façon proactive et sanctionner le salarié lorsqu’elle est témoin d’actes téméraires de sa part. La mise en place d’une politique de type « tolérance zéro » en matière de santé et sécurité au travail est à cet effet, recommandable.

La négligence criminelle

L’essence même de la Loi C-21 repose sur la notion de négligence criminelle. Cette dernière se concrétise lorsqu’une personne pose un acte ou omet de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir tout en démontrant une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Il doit s’agir d’un devoir légal imposé à l’employeur, c’est-à-dire, que l’on retrouve dans une loi, un règlement ou tout autre outil législatif ayant force de loi.

En ce sens, les affaires Metron[4] et Kazenelson[5] sont des exemples concrets de l’application judiciaire de ces dispositions.

Dans ces deux jugements relevant du même évènement tragique, soit l’effondrement d’un échafaudage causant la mort de quatre salariés en plus d’en blesser un gravement, le résultat fut lourd de conséquences pour l’entreprise et le dirigeant en cause.

Dans la première affaire, la compagnie Metron a plaidé coupable à un chef d’accusation de négligence criminelle causant la mort et a finalement été condamnée par la cour d’appel à payer une amende de 750 000$.

Quant à la deuxième affaire, M. Kazenelson, a été reconnu coupable de l’ensemble des chefs d’accusations de négligence criminelle qui lui étaient reprochés, notamment car il était au fait de la mauvaise installation de l’échafaudage et qu’il n’a rien fait pour y remédier. Il a finalement été condamné à purger une peine d’emprisonnement de 3 ans et demi de prison.

En définitive, bien que les jugements rendus avant l’affaire Fournier étaient sévères et comportaient déjà une certaine portée dissuasive, ce verdict, un premier du genre au Québec, amène le débat à un tout autre niveau. En effet, ce chef d’accusation étant reconnu comme l’un des plus graves au Canada, un tel précédent fera certainement prendre conscience aux dirigeants récalcitrants que la santé et la sécurité au travail n’est pas un choix, mais bien une obligation. À cet égard, le prononcé de la peine sera intéressant à suivre. Actuellement, la plus lourde sentence prononcée en lien avec la loi C-21 appartient à l’affaire Kazenelson. Cependant, il y a une réelle possibilité que la sentence dans l’affaire Fournier la dépasse.

Somme toute, cette décision envoie un message clair à tous les dirigeants qui opèrent dans des milieux comportant des risques ainsi que des enjeux de sécurité. Ceux-ci doivent plus que jamais prendre tous les moyens nécessaires pour éviter de tels drames, faute de quoi ils pourraient être durement réprimandés, voir emprisonnés.

 


[1] R. c. Fournier, 2018 QCCQ 1071.

[2] Code de sécurité pour les travaux de construction, S-2.1, r.4.

[3] Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations), L.C. 2003, ch. C-21(Projet de loi C-45).

[4] R. c. Metron construction Corporation, 2013 ONCA 541.

[5] R. c. Kazenelson, 2015 ONSC 3639. ; R. c. Kazenelson, 2016 ONSC 25.

Plan du site

Réalisé par